
Je viens tout juste de terminer la lecture du livre de Byron Katie, aimer ce qui est. Et immédiatement le lien c’est fait avec cette philosophie que j’aime profondément : le stoïcisme. Plus précisément, avec ce principe que j’essaie d’apprivoiser qu’est l’Amor Fati.
Ce que j’ai découvert dans ce livre m’a frappé par sa façon radicale de traiter les problèmes, sa clarté et sa puissance transformatrice. Ce qui m’a le plus étonné, c’est à quel point ce que propose Byron Katie entre en résonance avec ce que les stoïciens enseignaient déjà il y a plus de 2 000 ans. Deux univers, deux époques, deux langages et pourtant, un seul message : aime ce qui est.
Dans cet article, nous allons explorer ensemble ce dialogue entre Byron Katie et les stoïciens. Deux approches différentes, mais qui se rejoignent pour nous inviter à un même mouvement intérieur : cesser de lutter contre la réalité, et retrouver une paix profonde en l’embrassant pleinement.
I. L’origine des souffrances : la résistance à la réalité
Byron Katie commence avec une vérité brute : « Quand je crois mes pensées, je souffre. » Elle nous montre que ce ne sont pas les événements en eux-mêmes qui nous font souffrir, mais les croyances que nous projetons sur eux.
De leur côté, les stoïciens, Épictète en tête, affirment : « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais le jugement qu’ils portent sur ces choses. »
Ce que ces deux approches partagent, c’est cette lucidité fondamentale : la souffrance vient de notre résistance mentale à ce qui est. Nous voulons que les choses soient différentes. Nous refusons ce qui est. Et c’est là que naît le conflit intérieur.
II. Le pouvoir de l’acceptation radicale.
La réponse que Byron Katie propose à cette souffrance est simple et puissante : questionnons nos pensées, jusqu’à ne plus y croire. Et ce qui reste alors, c’est une forme d’acceptation inconditionnelle de la réalité. Une paix presque choquante.
Les stoïciens, eux, vont encore plus loin. Ils ne se contentent pas d’accepter le réel. Ils nous invitent à l’aimer. C’est le fameux Amor Fati : aimer le destin. Aimer tout ce qui arrive, non pas malgré les difficultés, mais à cause d’elles.
« Aimer son destin, c’est embrasser chaque instant, chaque événement, comme s’il avait été voulu par nous. »
C’est une forme d’accord intérieur avec le monde. Un oui total.
Et il ne s’agit pas de résignation. Accepter ne veut pas dire se soumettre ou tout cautionner. C’est au contraire retrouver un point d’entrée pour transformer ce qui est, aussi douloureux soit-il, en une force de croissance.
Un exemple bouleversant est celui de Scarlett Lewis, une mère qui a perdu son fils Jesse dans la tuerie de Sandy Hook.
« J’ai réalisé que la seule façon de surmonter ma douleur, c’était de donner du sens à ce que j’avais perdu. »
« Le pardon m’a libérée. Il ne s’agissait pas de l’auteur de l’acte. Il s’agissait de moi. »
Scarlett dit souvent que le courage de Jesse, qui a crié à ses camarades de fuir pendant la fusillade, est devenu une graine. Et elle, en tant que mère, a décidé de faire pousser cette graine, plutôt que de l’enterrer. Elle a choisi de créer un programme d’éducation à la compassion et au pardon dans les écoles, transformant une douleur inhumaine en projet de paix. Voilà une incarnation puissante d’amor fati.
III. Les trois types d’affaires : une sagesse stoïcienne sans le nom.
Dès les premières pages de son livre, Byron Katie évoque une distinction fondamentale :
« Il n’y a que trois sortes d’affaires dans l’univers : les miennes, celles des autres, et celles de Dieu. »
Cette idée rejoint de manière saisissante une des grandes distinctions du stoïcisme :
« Il y a ce qui dépend de moi, et ce qui ne dépend pas de moi. » — Épictète
Mes affaires/ce qui dépend de moi : mes pensées, mes choix, mes actions.
Les affaires des autres/ce qui ne dépend pas de moi : leurs réactions, leurs choix.
Les affaires de Dieu/le destin, la nature, l’univers, les événements extérieurs, accepter qu’il existe quelque chose de plus grand que nous.
Byron Katie et les stoïciens nous invitent tous deux à rester dans notre sphère de pouvoir, et à cesser de souffrir en voulant contrôler ce qui ne nous appartient pas. En ce sens, on peut dire qu’aimer ce qui est est une entreprise profondément stoïcienne, même s’il ne revendique pas cette étiquette. Il rend cette sagesse millénaire accessible, vivante, et surtout praticable au quotidien.
Sœur Emmanuelle est l’exemple vivant de cette sagesse.
Cette posture peut paraître abstraite jusqu’à ce qu’on croise des figures comme Sœur Emmanuelle, qui l’ont incarnée avec force et tendresse. Elle n’a jamais essayé de changer le monde entier d’un coup. Elle n’a pas accusé le ciel ni les gouvernements. Elle n’a pas voulu convaincre tout le monde. Elle s’est occupée de ses affaires : aimer, servir, soulager.
Lorsqu’elle découvre les bidonvilles du Caire, elle ne fuit pas. Elle accueille la réalité dans toute sa rudesse : la saleté, la maladie, la pauvreté, l’oubli. Et à partir de ce réel cru, elle décide d’aimer, d’agir, d’habiter pleinement ce qui est.
« J’ai vu la détresse, j’ai vu la crasse, j’ai vu la pauvreté. Et j’ai décidé de l’aimer. »
Elle ne s’est pas égarée dans les affaires des autres ni dans celles de Dieu. Elle s’est consacrée aux siennes : aimer là où elle était, comme elle pouvait. Cela n’a rien d’une résignation. C’est au contraire un choix courageux, profondément actif, aligné avec la pensée stoïcienne comme avec The Work de Byron Katie.
IV. Un chemin vers la liberté et la responsabilité.
Ce que j’aime dans ces deux approches, c’est qu’elles nous rendent notre pouvoir. Byron Katie nous dit : « Ce n’est pas aux autres de changer. C’est à nous de regarder ce en quoi nous croyons. » C’est une révolution douce, mais puissante : nous redevenons acteurs de notre paix intérieure.
Les stoïciens nous proposent un autre découpage tout aussi libérateur :
Ce qui dépend de moi : mes pensées, mes actions, mes choix.
Ce qui ne dépend pas de moi : le reste du monde.
En acceptant cette distinction, on cesse de se battre contre ce qu’on ne contrôle pas. Et on met toute notre énergie sur ce qui est vraiment entre nos mains.
Connue du grand public pour sa voix douce et ses chansons engagées, l’artiste belge Axelle Red est une artiste à la renommée internationale, mais elle est aussi une femme de conviction, profondément investie dans la défense des droits humains. Ce qui frappe dans son parcours, c’est son passage de la notoriété à l’engagement, en s’engageant activement aux côtés de l’UNICEF et dans diverses causes humanitaires. Elle milite pour les droits des femmes et des enfants dans les régions en guerre et les pays en développement. Elle s’est également impliquée dans la lutte contre les mines antipersonnel, notamment lors de la Convention d’Ottawa. Son engagement va au-delà de l’UNICEF, puisqu’elle soutient aussi Handicap international.
Axelle Red aurait pu se contenter d’un rôle d’artiste, d’interprète, de chanteuse populaire. Mais elle a fait un choix profondément libre et responsable : utiliser sa voix au-delà de la musique, pour porter celle de ceux qu’on n’entend pas. Cela relève entièrement de ce qui dépend d’elle :
Utiliser sa notoriété : un levier qu’elle a choisi d’activer au service d’une cause.
Ses prises de parole : mesurées, courageuses, jamais sensationnalistes.
Ses actions concrètes qui ne se sont pas limitées à des discours, mais a voyagé sur le terrain, notamment en Afrique de l’Ouest, pour rencontrer les femmes et les enfants concernés, rapporter leurs histoires, et faire entendre leurs besoins à des décideurs politiques.
À travers ce choix, elle incarne ce que Byron Katie et les stoïciens nous rappellent : recentrer notre attention sur nos propres affaires. Elle ne peut pas changer le monde entier ni éradiquer seule l’injustice. Mais elle peut faire sa part, avec justesse et cohérence.
Par contre, comme le stoïcien, Axelle Red semble avoir intégré que la misère du monde ne dépend pas d’elle seule, que les inégalités, les guerres, les désastres humanitaires la dépassent. Elle ne s’est pas laissée abattre par l’ampleur du problème. Elle n’a pas non plus sombré dans la résignation ou le cynisme. Elle a agi là où elle le pouvait. Elle a accepté ce qui est, sans se résigner, et elle a choisi une réponse consciente, humaine, utile.
Axelle Red incarne-t-elle la sagesse stoïcienne ?
Elle ne perd pas son énergie à s’indigner sans action.
Elle ne cherche pas à porter seule la souffrance du monde.
Elle agit avec calme, lucidité, et surtout efficacité là où elle a de l’impact.
Tout comme dans aimer ce qui est, elle semble avoir appris à faire la paix avec la réalité, non pour l’accepter passivement, mais pour mieux en faire un tremplin d’actions alignées.
V. Comment pratiquer cet amour du réel ?
Byron Katie nous propose une méthode très concrète, elle appelle ça le travail :
Identifier une pensée stressante.
La questionner :
- Est-ce vrai ?
- Puis-je savoir de façon absolue que c’est vrai ?
- Comment je réagis avec cette pensée ? que se passe-t-il lorsque je crois cette pensée
- Qui serais-je sans cette pensée ?
Puis vient le moment des retournements, où l’on cherche à formuler l’inverse ou une autre version de la pensée initiale, pour en explorer la validité. Ce processus, simple en apparence, est un véritable exercice de lucidité. Il nous permet de voir que nos pensées sont des constructions mentales, souvent inexactes, parfois injustes, et qu’elles peuvent être réévaluées.
Les stoïciens, quant à eux, nous proposent une série d’exercices tout aussi puissants :
- Distinguer l’essentiel du futile.
- S’entraîner à la visualisation négative (imaginer que tout ce qu’on aime pourrait disparaître) la perte de ce que l’on tient pour acquis, pour renforcer notre gratitude de ce qui est.
- Se rappeler que chaque épreuve est une opportunité d’exercer la vertu : patience, courage, justice et tempérance. Il y a déjà des articles sur la vertu stoïcienne dont le dernier est : Justice et stoïcisme : actions pour un monde plus équilibré. — Nos états d’Am’s.
- Pratiquer le détachement : se rappeler que rien ne nous appartient vraiment.
- La journalisation quotidienne : observer nos réactions, noter nos progrès, méditer sur la vertu.
- La méditation sur la mort (memento mori) : pour replacer chaque instant dans sa juste perspective. Voir article : comment le « Memento Mori » trouve-t-il encore sa place dans notre vie actuelle ? — Nos états d’Am’s
Dans les deux cas, il s’agit de transformer notre regard, pas la réalité. C’est installer une discipline intérieure qui nous invite à changer notre rapport à ce qui arrive, non pas en modifiant la réalité extérieure, mais en cultivant un regard neuf, un esprit ouvert, un cœur disponible.
Conclusion : une sagesse unique, deux chemins
Aimer ce qui est et l’Amor Fati. sont 2 philosophies, 2 pratiques, 2 chemins qui semblent différents, mais qui mènent, en vérité, à un même sommet intérieur : celui de la paix avec la réalité.
Nous vivons dans un monde qui nous pousse à la réactivité, à la comparaison, à l’indignation perpétuelle. Dire « oui » à la vie, telle qu’elle est, semble presque naïf, voire provocateur. Et pourtant, c’est peut-être l’acte le plus mature, le plus révolutionnaire et le plus sage que nous puissions poser aujourd’hui.
Car à bien y regarder, aimer ce qui est ne signifie pas tout tolérer, ni tout approuver. Cela signifie avant tout ne plus gaspiller notre énergie à lutter contre ce que nous ne pouvons changer, pour mieux concentrer notre pouvoir là où il est réel : dans notre esprit, dans notre cœur, dans nos choix.
Et si le chemin vers la liberté, la vraie, commençait par-là ?
Par ce moment où, au lieu de dire « pourquoi moi ? », je murmure simplement : oui, ce qui est est ! Je ne peux pas toujours choisir ce qui m’arrive, mais je peux toujours décider de comment je choisis d’y répondre.
À très vite pour la suite.